Tardes de soledad

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Le réalisateur catalan Albert Serra (Pacifiction) réalise des films comme un sportif de l'extrême: ses œuvres sont des expériences limites qui explorent les possibilités du médium cinématographique, conjuguant radicalité et goût du morbide. Dans Histoire de ma mort, il faisait se rencontrer Casanova et le Comte Dracula, tandis que dans La mort de Louis XIV il dirigeait Jean-Pierre Léaud en Roi Soleil agonisant. Son nouveau film documentaire est circonscrit à trois espaces: l’arène de corrida, où le torero Andrés Roca Rey et son équipe s'adonnent au spectacle controversé de la tauromachie, poussant chaque bovidé à la mort tout en mettant leur propre vie en jeu; le minibus dans lequel Roca Rey, entouré de ses hommes et félicité par ses admirateurs pour «la taille de ses couilles», circule d’arène en arène; les chambres d’hôtel où le torero revêt ses costumes de scène, aidé par ses assistants, ou se déshabille, parfois gravement blessé. Si la variation autour de ces trois rituels pendant près de deux heures peut sembler répétitive – en particulier la récurrence des corridas filmées au téléobjectif –, elle favorise un état de concentration visuelle que renforcent de subtiles variations et un fin dosage de bruits et de musique. S'en dégage une irrésistible attraction pour le noyau de cette danse macabre: le matador et sa cuadrilla s’enivrent de sang en s’exposant à la mort (à plusieurs reprises, Roca Rey, heurté, manque de perdre la vie), tandis que le taureau, puissante créature provoquée jusqu'à la rage, est finalement abattu sans pitié avant d’être traîné hors de l’arène comme une masse insignifiante. On réalise alors que les corridas constituent – pour reprendre le titre de l’étude incontournable de Klaus Theweleit sur la violence masculine – des «fantasmâlgories» triomphalement mises en scène. Et on n'oublie pas que chacune de ces fantaisies repose sur une souffrance animale indescriptible.